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Armure de graisse

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MessageSujet: Armure de graisse Armure de graisse EmptyMer 2 Avr - 20:03

The Stellar Whale
Féminin

Stella Bogdanoff

Stella Bogdanoff
    Puf puf. Puf puf.


    Puf puf.

    Onomatopées peu engageantes. Dans les foulées lourdes de ma course rythmée au fil des balancements lourds de ma graisse qui se secouait, il s'agissait pourtant de ce bruit persistant, et le plus décelable, quoique mêlé à ces autres chuintements, couinement, et bruits humides d'un corps gras en mouvement. Mes vêtements devenus trop serrés, mes semelles trop plastifiées, je courais, le rouge aux joues, avec cette sensation que chaque foulée suivante me ferait me rétamer sur le sol. Je courais, fait qui m'impressionnait moi-même, et quoique la démonstration physique n'ait rien de très brillant au vu de la vitesse actuelle à laquelle je me déplaçais, j'avais tout de même cette fierté que de découvrir que j'étais en mesure de piquer un sprint.

    Mon atterrissage ne s'était pas déroulé tout à fait comme prévu. J'avais espéré, peut-être, un accueil doux, un lit d'amortissage, un matelas, un comité. Quelque chose, une installation, qui m'aurait fait prendre conscience du fait que je posais bien les pieds dans un endroit complètement différent. Quelque chose qui m'aurait signalé : « Salut, Stella, t'es bien arrivé, bienvenue dans ton nouveau chez-toi, le buffet est ici, et les toilettes sont là bas. Tu as besoin de quelque chose ? » Dans ma tête, l'arrivée idéale sur le monde nouveau aurait du ressembler à cela.

    Je ne m'attendais pas à tomber face contre terre dans une herbe aussi grasse qu'odorante. Je ne m'attendais pas à me relever lentement, fourbue, endolorie, le visage en miette, le nez verdie, les yeux embués de larme. Je ne m'attendais pas à cette vision floutée d'un espace rocheux se dessinant autour de moi. Je ne m'attendais pas à ce silence inopiné, en vu du bruit magistral qui m'avait paru résonner à travers tout l'univers quand mon corps avait heurté le sol. Non. Le silence. Le silence, puis la prise de conscience balayant toutes mes idées ridicules.

    Le vide, l'inconnu, l'ignoré, le danger.

    J'étais nulle part, perdue, et sur ce monde qui ricanait sa moquerie à mon égard, je découvrais la grandeur de ma petitesse. Pour la première fois de ma vie, je ne me sentis plus aussi épaisse. Plus aussi imposante. La baleine disparue pendant un instant, submergée, étouffée par le flot de sensations qui déferlaient, écrasés contre ma face par le vent qui vint hurler dans mes oreilles. Mes mèches blondes secouées, frappées, tordues, les larmes inconsciente de la douleur de mon nez et de la poussière dans les orbites, se virent couler sur les monts de chair tendues de mes joues, comme un salut silencieux à ce monde que j'aurais voulu embrasser du regard.

    Et puis, le grognement.

    Mille fois entendus dans ces fantasmes d'enfants que l'on a, que l'on se créé, pour se faire peur, ce grondement qui provient d'une fond de gorge animale, et que l'on sait, par instinct, destiné à tout sauf à l'amabilité.

    Le grognement d'un être gigantesque, trop gros pour exister ailleurs qu'ici. Assez énorme pour qu'on se donne une idée avant même qu'on ne l'ai vu. Je me retournais lentement, les yeux écarquillés d'épouvante.

    Il n'y avait pas assez de secondes sur cette planète pour que je me permette de chercher à correctement définir la créature qui bondit sur moi, dans l'essor violent de la détente de ses muscles. Dans un hurlement terrifié, j'effectuais un double-face immédiatement suivi par un sprint improbable. Corps qui se tend, corps qui se serre, se raidit, et s'offre totalement à cette volonté de survie, j'avais couru comme jamais avant je n'avais couru. Une course folle, une course complètement impossible, mes cuisses poussant chaque mouvement, entrainant l'élasticité mobile d'un muscle qui avait hurlé sa pression, pour toujours, me projeter vers l'avant.

    Et sans savoir comment, l'être n'avait plus été derrière moi. N'avait plus été là du tout. Refusant de m'arrêter, refusant de commettre l'erreur de ralentir, j'avais couru longtemps. Bien trop pour moi. Et maintenant, mon corps incapable de s'arrêter, je ralentissais doucement, achevant enfin cette course folle, cette première course depuis des années.

    Mon corps hurlait la souffrance à cet effort.

    Et je jubilais la vie, je jubilais l'ironie, la satisfaction, je jubilais la jubilation.

    Moi, Stella, première course sur Terra, synonyme de survie.

    Ça promettait.

    (…)

    Après un détour incertain dans une forêt incertaine, à hurler de terreur devant une araignée apparue trop brusquement devant mon visage, descendant le long de son fil, j'avais ainsi alertée les trois kilomètres à la ronde que j'étais une fichue trouillarde. Et puis, un sourire avait couru sur mes lèvres, et ne m'avait quitté depuis. J'abordais les lisières de la forêt, la longeant, après avoir constaté qu'elle était traversée par un léger cours d'eau. Qui disait « eau » disait « vie », et sur Terra, s'il y avait de la vie humaine, elle ne pouvait être, logiquement, implantée que proche de l'eau. Aux environs, tout du moins.

    Et ainsi, après des boucles et des détours audacieux que la nature m'offrit grâcieusement, je perçus ainsi un changement notable dans le ciel : les nuages montaient à la verticale. Fumée moqueuse, légère ; emportée par le vent, elle devenait le point de bornage d'un marquage matériel, presque symbolique, de mes désirs, de mes attentes.

    Village. Humains. Repères.

    Faut-il préciser que, malgré la douleur dans mes cuisses, lancée par l'acide lactique, je me précipitais vers celui-ci ?
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