Sujet: WE GO WHERE NO ONE GOES Jeu 19 Juin - 0:45 | |
| Frostbitten Requiem to a Forgotten Elegy
S. Ashton Awyer | WE GO WHERE NO ONE GOES.
STEP THIRTEEN. « He always told me that letting go was a better alternative than clinging on, than keeping up. I always thought he was talking about life in general when he said that, but now I know better. He was advicing me to bleed Joshua out of my veins, to do the one thing he had never been able to do with the memory and corpse of his mother. To let go, to move on. » - J’ai la saveur des feuilles qui tremble sur la langue et l’horizon d’un futur incertain qui me vacille au fond des prunelles. J’ai cette rage sauvage qui projette ses effluves jusqu’au bout de mes phalanges, cette fureur d’exister qui cherche comment se manifester sans avoir à littéralement effacer l’individu que je suis. Mes cicatrices, je les porte avec cette affection onéreuse qui berce doucement mes songes nocturnes et pour la première fois depuis longtemps, je papillonne mes paupières pour les ouvrir avec cette impression particulière de vraiment me réveiller. Le matin ne filtre pas encore, mais je sens son odeur, respire sa rosée, et un frémissement incongru me parcours le corps, ce sentiment d’excitation latente que je n’ai pas ressenti depuis, techniquement, plus d’un siècle. Je dépoussière les vitraux de mon émotivité, toisant le plafond de l’infirmerie, l’étonnement envahissant assurément mes traits.
J’inspire, puis j’expire et je me surprends, dans un élan tout aussi déchirant que salvateur, à ne pas sentir le poids de ses lèvres sur les miennes. Dans cette couche que j’ai dérobée à un autre, je me sens soudainement infime, minuscule, perdu. Je n’ai nulle part où chercher sa présence à tâtons, car je la sais égarée parmi les mailles du temps entre lesquelles je me suis faufilé. Une part de moi, celle qui prédomine toujours depuis mon ultime éveil, ne s’éprend que d’une envie, celle de foncer me réfugier dans la quiétude des journaux gravés de sa main, celle de me rapatrier dans les confins d’un univers dorénavant inatteignable. Pourtant, même si les livrets ont été soigneusement disposés dans un coffret à moins d’un mètre de moi, une autre envie se démarque, soupirée dans mon esprit. L’autre pilule de la Matrix. Il y a, par-delà du village, des paysages inexplorés qui s’étendent sans que personne n’ait encore songé à les approcher, sans que je comprenne totalement pourquoi l’envie de le faire me prend maintenant. Un prédateur qui referme sa gueule sur sa proie, c’est comme si j’étais retourné me perdre dans cette enfance qui me présentait comme un aventurier, avant que la gangrène de la richesse ne s’empare de mes os et que son sourire tortueux ne me dévore l’âme.
Mes orteils touchent le sol rendu frais par le tempérament calme de la nuit et je m’habille à la hâte, enfilant les étoffes rapiécées sans réellement me soucier d’une quelconque forme d’esthétique. J’observe la pénombre régnant en maîtresse dans la hutte, décelant distraitement la silhouette familière de Gavin se découper dans le noir. J’apprécierais presque que ses cheveux scintillent dans l’obscurité, un phare à mon aveuglement abasourdi. J’esquisse un pas, soucieux de ne point troubler le silence régnant sur le village, promenant encore une fois mon regard, qui s’ajuste lentement au faible éclairage, sur l’entièreté de la hutte. Je dresse une liste mentale des effets qu’il me faut pour concrétiser mon coup de tête et les saisis à mesure qu’ils se dévoilent à demi au miel de mes iris. Un sac, deux paniers, de la corde, des pierres à feux et un semblant de dague – je te remercie platement de ton existence, pierre plate –, ainsi qu’une couverture. De la nourriture, aussi, des plantes, des bouts de trucs séchés, l’attirail indispensable, quoi.
Je réunis le tout en espérant faire le moins de bruit possible, jetant de temps à autre des œillades furtives dans la direction du médecin locale, jaugeant la profondeur de sa léthargie. Heureusement pour moi, la vie sur Terra se faisait, pour la plupart de ses habitants, éreintante. Ça ou Gavin était simplement doué d’un sommeil profond.
Je ne sais trop d’où vient cette énergie qui m’écarte momentanément du regret et des souvenirs jouant constamment sous mes paupières, mais je n’ai aucun malaise à la saisir sans réfléchir. Ce n’est pas comme si des enjeux importants dépendaient de moi, ce n’est pas comme si j’avais une quelconque pertinence. Une bouée, mon parachute. Les autres peuvent continuer à se taper l’océan.
Hissant mon sac chargé, ainsi que les paniers tressés sur mes épaules, je me glisse dans la direction de Gavin, songeant à momentanément l’extirper du sommeil, principalement pour que Kaja ne s’effondre pas sous le joug d’un anévrisme en constatant la disparition d’Aleksander. Je m’y prends de manière délicate, dieu sait que les surprises se font suffisamment nombreuses à l’extérieur, me penchant légèrement au-dessus de lui et soufflant d’une voix basse :
« Gavin . . . Gavin . . . »
Mes doigts viennent tirailler ses mèches d’opale, mes ongles effleurant son scalp avec une lenteur exagérée, mais ni les mots, ni les gestes ne semblent avoir d’effet sur lui. Le joli prince se contente de grommeler quelques incohérences, se recroquevillant un peu plus sur lui-même. Mon estomac se serre et je patauge momentanément entre deux pointes joignables, celles de l’humour et celle du désir. Ce serait si facile de simplement . . .
Non.
Je me détache de ma contemplation, l’appel du vide hurlant plus fort que certaines envies plus basiques. Je cligne des yeux, remonte mon léger foulard effiloché jusqu’à mon mention et m’évanouit tel un spectre dans la nuit.
Au tour de ma chachèvre favorite, maintenant.
-
« Aleksander, come on ! »
Un miaulement plaintif me parvient, et je tourne la tête, tirant doucement sur la laisse connectée à mon harnais maison, pour observer mon compagnon de voyage. Compagnon qui a la vilaine habitude de vouloir prendre des pauses d’observation toutes les trente secondes. Il se dandine sur ses pattes, semblant peu importuné par la raréfication de l’air, bondissant joyeusement sur le chemin relativement escarpé que je me charge de tracer pour lui et il fiche son nez partout, presqu’aussi fasciné par ce qu’il découvre que je peux l’être. Nos provisions se balancent de manière précaire de chaque côté de son corps et je songe apposer un nouvel arrêt à notre périple pour resserrer les cordages qui empêchent mon maladroit échafaud de tomber en ruines. Il ne protesterait pas, adorable bête va, il en profiterait pour humer les environs avant de venir lécher l’eau me dégoulinant sur le menton. J’en suis sûr.
Cela fait bientôt trois jours que nous avons quitté le village et sa maigre civilisation pour suivre le souffle de mon émoi, arpentant d’abord les collines et leurs renflements aqueux, pour ensuite gravir l’intensité des rocs verdoyants des montagnes. Au fil des jours, j’ai pris une décision, ou plutôt, une décision s’est imposée d’elle-même à ma personne. Exister. Vouloir exister. Et cela commencerait par un endroit que l’on pointerait en décrivant comme mien, un modique palace dont la base serait construite des pierres significatives que je cueillerais dans cette montagne. Parce que l’effort de la construction ne s’imposerait à mes yeux comme réel que si j’avais à grimper jusque dans les hauteurs des montagnes pour le ressentir. Porter le jeu de mots à réalité, respirer la pureté de l’air et contempler les étoiles clignotant dans le ciel en tentant de me souvenir ce à quoi ressemblait la pollution lumineuse de mon époque.
Devant moi s’étend un paysage d’une beauté saisissante et un pas supplémentaire me ferait plonger dans le vide. Un vide qui se perdrait dans les étendues acérées d’un point d’eau gigantesque bordés de pics rocheux. Je me tiens au bout de ce qui me semble être l’univers dans toute sa plénitude et mon souffle court se bloque dans ma poitrine comme un chat ronronnant. L’eau miroite comme une nuée de diamants sous les rayons du soleil, les bourrasques du vent porte l’odeur devenue presque étrangère du sel, les pics de roches environnants me paraissent soudainement devenus des sculptures anciennes. Je n’ose pas cligner des yeux, je n’ose pas respirer, mais je souris, je souris à m’en fendre les joues.
Jamais, de mon état de prisonnier à mes vices, de mon état d’expérience à leurs idées, ne me suis-je senti aussi libre. Le petit garçon assoiffé d’aventures et de scénarios fantastiques qui s’était réveillé dans l’infirmerie il y avait deux nuits de cela s’épanouit maintenant devant l’arabesque de ses rêves les plus fous. Et il sourit et il pleure et il s’en fout.
Bordel.
Je veux tellement vivre.
Je me laisse brusquer par toutes les contradictions habitant mon être, sentant ce combat qui ne terminera vraiment jamais se laisser dominer par l’émerveillement et je ne sais pas si ça durera, j’en doute, car la plénitude est si, tellement, fragile, mais, pour le moment, je peux respirer. Je peux vouloir. Et je n’ai même pas besoin de ce connard d’espoir pour le faire.
Je le fais, point.
Fuck you all.
« Tu sais quoi, Aleks, je crois qu’on y est, je crois que c’est bon. »
Mes paumes agrippent les cuisses de la chachèvre et l’attirent contre mon torse, tout en m’asseyant, alors que celle-ci me semble s’approcher trop près du bord et elle se love contre mon sans se formaliser, s’accommodant si facilement qu’un soupir d’aise transperce l’écrin de mes lèvres. J’enfouis mes phalanges dans son pelage en l’apposition d’une caresse énergique qui laisse l’animal se rompre en un ronronnement vrombissant.
Je laisse mon regard balayer la brillance de l’horizon, à demi-disposé entre les ombres verdoyantes que les formations rocailleuse nous surplombant toujours jette sur nous. Mon cœur bat la chamade, je suis subjugué à un point tel où je m’en trouve presque tremblant. Tremblant du plus poignant des bouleversements.
« Il faut absolument donner un nom à ces montagnes. »
Des pics de verdures de gris et de bruns, serpentés des relents d’eau découlant des vertes collines qui leurs font office de nid. Aleksander penche la tête pour attraper quelque brin d’herbes folles du bout de ses dents, sans jamais cesser de ronronner. Je ricane, lui en chopant un pour le porter à mes lèvres. Ainsi, nous dégustons la montagne et ses saveurs. Menthe, vanille, choco. . .
« Toblerone. Toblerone. Comme le chocolat. J’ai envie de chocolat. What do you think ? The magnificient and splendid Toblerone Mountains ! »
Un miaulement roucoulant me répond et damn, je parle à une chèvre. Je passe une main dans mes cheveux hirsutes et couverts de poussière, les secouant et appréciant la manière dont le sable qui s’en détache volète dans l’air. Je glisse mon sac de sur mes épaules et le dépose contre le sol, manœuvrant le textile animal de sorte à pouvoir en extirper ma gourde en peau. Je m’en déverse une coulisse sur le crâne et offre le même traitement à Aleksander qui se secoue contre moi en réponse.
« Je crois que s’il me voyait, ici, debout devant l’entièreté de l’inconnu et de tout l’avenir qui va avec, il me fixerait de son sourire clignotant d’obscène et me susurrerait « Little Tree, Sacha, jusqu’où peux-tu aller, à partir de maintenant, jusqu’où vas-tu te rendre ? ». And I would not say it out loud, but my heart would scream out that I would be willing to go wherever he would like me to. And I did, I went where he wanted me to and look where it brought me. » Gloussement.
Pause.
« I’m alive. »
Je le répète une seconde fois, puis une troisième, parce que même après trois ans, j’ai toujours du mal à y croire.
Mais je veux le faire, je veux y croire. - - Traductions.:
• « Aleksander, vient. »
• « [ . . . ] Les magnifiques et splendides Montagnes Toblerone ! »
• « [ . . . ] Et je ne le dirais pas à voix haute, mais mon cœur hurlerait que je serais prêt à me rendre n’importe où il le désirerait. Et c’est ce que j’ai fais, je suis allé là où il voulait que j’aille et regard où ça m’a mené. »
• « Je suis en vie. »
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Sujet: Re: WE GO WHERE NO ONE GOES Lun 30 Juin - 11:02 | |
| The Stellar Whale
Stella Bogdanoff | Il est des histoires qui ne commencent pas bien. Des histoires dans lesquelles les héros n'étaient pas ces figures archétypes à même de vaincre la violence d'une vie qui s'opposaient à eux, dans des obstacles à surmonter. Il y avait des histoires, en effet, dans lesquelles le héros avait marché trop longtemps, et s'était perdu. Et la mienne, assurément, étaient de celles-là. Marcher dans le silence de la nuit n'avait su favoriser mes chances à atteindre le village recherché. Dans mes observations silencieuses et ébahies, détails et reliefs de ce monde aux formes inconnues m'avaient poussés à marcher dans des directions qui n'avaient construits l'attente et l'atteinte des lieux espérés. Pas de village en vue, pas de civilisation atteinte. Juste les paysages que je découvrais à n'en plus finir. Depuis décembre. Depuis décembre. Comment avais-je seulement survivre aussi seule ? Dans ma tête, l'histoire de Robinson Crusoé résonnait de sa cruelle menace. L'homme ne peut vivre s'il est seul. L'homme ne peut vivre s'il ne peut parler avec un de ses congénère. Depuis décembre. Ce mot, au sens presque oublié, résonnait en moi comme un spectre qui hurlait un passé que le temps avait dévoré. Combien de temps ? Chaque jour, j'avais mordu ma peau, du coude jusqu'au poignet, pour noter les jours, les graver dans la chair, mais les mois avaient passés, et les cicatrices, bien que douloureuses, avaient laissé place à une peau illisible, et meurtrie. On ne se souvient pas du temps, lorsque la solitude dévore l'espace. Alors j'avais marché. Marcher était la seule chose à faire, puisqu'il me fallait survivre. Marcher pour avancer, marcher pour trouver ce qui pouvait être déniché.
Courir, lorsque la peur me faisait m'épouvanter des ombres qui se jetaient sur moi. Rire, lorsque je comprenais qu'il ne s'agissait que d'illusions portées par la nuit. Des secrets, des murmures, des arbres qui chuintaient le glissement de leur ramure. Marcher, calmer ses pas, et découvrir ce que l'on ne peut jamais réellement contenir du regard. Marcher, courir, à s'en tuer les jambes, à s'en brûler le ventre. Vivre dans le silence d'une absence ; celle de l'humain. Survivre quand la faim s'en prenait à la résistance du corps, et ramper, dans la terre, pour comprendre que notre salut se trouve lorsqu'on abandonne la dignité civile de l'enfant protégé. Se nourrir des insectes et des racines, pour puiser dans le sol les forces vitales qui permettent au corps de se relever. Marcher, encore, courir lorsque les arbres font trop peur, marcher encore. Se nourrir. Déféquer en pleurant quand l'estomac brûle d'une maladie qui se fait coriace. Marcher. Marcher, ne jamais trouver, mais continuer à marcher. Oublier sa propre odeur dans celle de la terre et des champignons. Oublier la texture de sa peau, violentée par l'hiver puis le printemps, la neige et la pluie, l'été et son soleil, la violence de la météo, et les impacts sur les cailloux. Tomber le nez dans la poussière, se faire arracher les ongles sur les graviers perfides, se relever et boitiller jusqu'à une souche, tremper son corps dans la rivière, et mordre ses lèvres pour ne pas crier de douleur quand les minuscules sédiments venaient infiltrer mes plaies ouvertes. Survivre.
Et puis les loups. Naturellement, ça n'étaient pas des loups. Des animaux de cette taille ne pouvaient être des loups. Dans les montagnes, attirés par le feu que j'avais glorieusement offert à la nuit, dans un besoin de chaleur, ils avaient encerclés le périmètre de lumière qu'offrait le bivouac, se faisant les menaces de la nuit qui me surplombait. J'avais pleuré, désespérée. Pleurer, parce qu'il était injuste de devoir se battre comme cela contre la nature déjà impavide et cruelle, pour qu'il faille ensuite affronter des animaux avec une autonomie de mouvement et un instinct qui les poussait à tuer. Sans jugement, sans cruauté : juste parce qu'ils avaient faim, et que cette nuit-là, il fallut que je sois la proie. Alors, doucement, j'avais séché mes larmes, et je m'étais installé un peu plus confortablement près du feu. Quitte à devoir affronter ce qui possédait griffes, crocs, et envie de sang, autant optimiser mes chances en confortant mon corps à la chaleur des flammes. Et j'avais attendu. Comme moi, ils avaient patientés. La nuit étant déjà engagé, je m'étais pris à espérer que le soleil apparaîtrai avant qu'ils ne se lassent de cette immobilité de leur gigantesque masse. Mais l'espoir avait été ravi quand le mâle alpha avait bougé, dans ce mouvement fluide et létal. Ma main, dans une autonomie propre à celle qui était devenue ma voie de survie, avait saisie une bûche, et dans un lancer caractériel, j'avais cherché à frapper la première. Espoir. Espoir était ce mot qui ne m'avait jamais quitté, depuis décembre. Espoir était ce qui, par sa définition, avait toujours forcé mon esprit à hurler à ce besoin de vivre. Et la bûche enflammée de frapper la gueule de l'animal ; dans un coup terrible, dans un coup effrayant. Le craquement qui résonna me fit frémir de tout mon corps, et admirant, les yeux écarquillés, la déesse du Destin agir en ma faveur, je regardais l'énorme animal plier les jarrets, et s'effondrer sur le sol sans un bruit. Les autres, la meute amaigrie, poussèrent des couinements terrifiés, et s'en allèrent dans cette cavalcade qui promettait une absence de retour. La stupéfaction m'empêcha de bouger pendant une heure encore. Jusqu'à ce que le soleil perce au dessus des lourds nuages de la nuit, et que doucement, pâle, le jour vienne inonder la réalité.
Alors, doucement, je m'étais approché du gigantesque animal, et dans une contemplation stupéfaite, j'avais observé l'hématome sanglant qui s'était étalé sur le front de l'animal, au dessus de l'os de sa gueule. Une collision portée par le hasard, avec la violence du destin. Le loup tué par le vent plus que ma main. Mes doigts avaient glissé sur le poil épais de l'animal, découvrant les courbes des muscles qui se dessinaient sous la robe argentée. Ma salive, dans ma bouche, m'avait aussi fait prendre conscience d'une envie qui était née sans que je m'en aperçoive. Le loup représentait désormais cette viande qui m'était accessible.
Il avait fallu que j'aille jusqu'à la rivière, et que je ramasse les cailloux et coquillages les plus pointus et découpant que j'avais pu trouver. Là, j'étais remonter sur mon esplanade, craignant presque ne plus y trouver mon cadavre. Mais toujours couché sur le flanc, la gueule ouverte sur sa propre marre de sang, dans laquelle trempait sa langue, mon loup attendait. Attendait quoi, précisément ? Aurais-je, moi, réellement, la force et le courage d'effectuer ce qu'il semblait logique à faire ? Je me souvenais de ces dissections au collège. Je me souvenais de l'odeur ignoble. M'étant agenouillée sur le sol, près du flanc du loup, j'avais levé le visage vers le ciel.
J'avais besoin de viande. Et j'utiliserais sa peau comme d'un vêtement, en vue de l'hiver prochain. Son odeur camouflerait la mienne aux autres prédateurs, et, de manière personnelle, je me sentirais plus protégée, à porter la peau d'un loup, dans ce monde où le jeans ne représentait rien. Le coquillage dans la main, j'avais posé ma paume sur le flanc gigantesque de l'animal, et doucement, j'avais plongé dans le corps de l'animal mort.
L'odeur fut plus ignoble encore que ce à quoi je m'étais préparé. Dans le sang et les tripes, les poils déchiquetés et les os à rogner de leur chair, j'avais fait une boucherie, abandonnant l'idée de me salir le moins possible. Pleurant sous la monstruosité de la tâche en cours, j'avais creusé le loup comme on creuse la terre. Les sucs m'avaient coulés sur les mains, imprégnant ma peau de leur fétidité, et lorsqu'il avait fallu aller chercher plus loin, je m'étais résignée : j'avais mis tout le haut de mon corps à l'intérieur du ventre du loup. Dans Star Wars, il y avait cette scène où Han sauvait Luke du froid de la planète Hoth en le mettant dans le ventre du TonTon. Cette scène ne m'avait jamais écoeurée ; j'avais trouvé cela astucieux et fascinant. Mais là, dans l'intérieur du loup, mes pleurs avaient redoublés, et ma voix, curieusement étouffée, m'avait paru être une abomination. Suffocant, blême, j'avais craché ce qui me rentrait dans le nez, la bouche, en se plaquant conte mon visage, et mes cheveux avaient adoptés des teintes bleutées de sang. Sortir, respirer, rentrer, creuser, fouiller, arracher, ressortir, respirer. Se dire qu'on ne peut plus. Respirer. Re-rentrer. Recommencer. La tâche m'avait pris cette journée entière, et je ne possédais plus aucun odorat lorsque le soleil amorça sa chute. Au couchant complet, j'avais séparé la peau du reste du corps, et ignorant le fait qu'il me fallait rogner le reste de tissus, je m'étais enroulé dedans, à la manière d'une couverture, et j'avais sombré dans un sommeil lourd.
Je m'étais réveillée le matin, quelques heures avant le lever du soleil, mais avec cette impression notable d'avoir correctement dormi. De m'être complètement reposé depuis plusieurs semaines. Ignorant le sang qui avait teint mes cheveux et ma peau ; beaucoup plus calme que la veille, j'avais repris l'écharpage de mon loup. Utilisant le sel que j'avais retrouvé près des confluents, à quelques centaines de mètres, j'avais salé le corps de l'animal, empêchant ainsi la venue trop proche des charognards qui avaient passés la journée à voler en cercle au dessus de nous. Brûlant entièrement le corps du loup, avec une surveillance minutieuse, j'avais cuit complètement les muscles et les chairs. Dans un élan d'humour, j'avais même ricané en découvrant qu'il me faisait penser à un énorme rôti. Puis, épuisée, j'avais simplement mangé. Mangé, sans saveur, ignorant les fragrances délicieuses de la nourriture. J'avais mangé pour survivre. Parce que c'est ce que je faisais depuis le début.
Tri des os, contemplation de mes idées et de ces inspirations qui naissaient, j'avais passé trois jours supplémentaire à côté de mon loup. Où de ce qu'il en restait. A dévorer ce que mon corps réclamait, à découper la viande pour la conserver en des petits tas que je rangeais dans des bourses crées à partir de morceaux de sa peau. J'avais gratté ce qui était devenu mon manteau dantesque, et arraché humérus et fémur pour en faire, - j'en comprenais désormais l'utilité-, des armes primaires. Avec lenteur et pugnacité, j'avais taillé un des os des pattes inférieures de mon cadavre salvateur pour en faire une pointe dangereuse et solide, que j'avais rangé à ma ceinture, à l'instar d'un mélange de sabre court de de dague longue. Des éclats d'os devinrent ces pointes que je rangeais dans une millième petite bourse. Je trouverais de quoi faire un arc. Et je chasserais.
Puis vint le jour du départ. Creusant le sol, apposant une dernière pierre, je reculais pour admirer mon tertre minéral. Dans un hommage sentimental au loup tué pour ma survie gagnée, je regardais en silence le ciel voluptueux dessiner au dessus de nous les arabesques bleutés d'un nouveau matin. Il me sembla, à ce moment là, que j'étais un peu différente de ce que j'avais été en décembre. Naturellement, je devais continuer à survivre. Mais j'avais cette sensation, peut-être, d'avoir grandi un peu. Et c'était bien, je trouvais. C'était bien.
La peau du loup au dessus de mon armure atténuée de graisse.
Combien de temps ? J'avais oublié. Mais mon corps hurlait à ce rappel du temps qui passait. Je commençait à voir mes os, sous une peau devenue dure et brûlée. Un corps abîmé mais plus rapide. Rond et puissant, j'aimais à le croire. Différent de ces, je crois, mannequins d'autrefois. Mais indubitablement changé. Je devais avoir perdu. La notion du temps, la notion de l'humain, la notion de mon poids. Je souriais, amusée comme une gamine, à tourbillonner dans cette nature qui refusait de se faire adopter. Je continuais à marcher.
Marcher pour aller ailleurs. Marcher pour dépasser les montagnes et découvrir les plaines. M'enfoncer dans les forêts, et y trouver un véritable terrain de jeu. Là, batailler avec les racines d'un arbre ancestrale. Apprendre, petit à petit, à m'élever dans les arbres, branche après branches, pour apprendre à découvrir, et contempler l'étalement d'un monde qui n'en finissait pas. Découvrir des espèces d'animaux de toutes sortes. Faire face à des rongeurs dangereusement hargneux qui goûtèrent de mes coups et de ceux de mes armes en calcium. Chasser, petit à petit. Continuer à me louper effroyablement dans la pêche. Vomir des champignons apparemment non comestibles. Marcher. Marcher pour avancer.
Et puis un jour, marcher pour suivre.
Des traces, auxquelles je ne m'attendais pas. Avec la curieuse sensation de traquer ce qui ne se chasse pas, j'avais suivi la piste longue d'un humain. Intérêt génétique, j'avais voulu savoir. J'avais suivi, empruntant la voie des chemins qui ne laissent pas de trace, parce que je m'étais sentie intimidée, et que l'idée de faire face à un animal qui portait mon visage m'effrayait un peu. Et pourtant, il fallait bien aller à la rencontre. Dans ma tête, dans un vieil écho, Robinson Crusoé murmurait.
«Toblerone. Toblerone. Comme le chocolat. J’ai envie de chocolat. What do you think ? The magnificient and splendid Toblerone Mountains ! »
Il me fallut un temps pour comprendre le français et l'anglais de l'homme qui, de dos, contemplait ces montagnes sur lesquelles nous découvrions la vue splendide. Ce temps-là, il fut savoureux d'intelligence. Redécouvrir ce qui se construit par les mots, par les mouvements des lèvres et de la langue ; par la résonnance de la voix en une modulation sculptée, dictée par une idée de transmission, de compréhension. Jamais, depuis décembre, je ne m'étais sentie aussi bouleversée que de redécouvrir le langage.
« Je crois que s’il me voyait, ici, debout devant l’entièreté de l’inconnu et de tout l’avenir qui va avec, il me fixerait de son sourire clignotant d’obscène et me susurrerait « Little Tree, Sacha, jusqu’où peux-tu aller, à partir de maintenant, jusqu’où vas-tu te rendre ? ». And I would not say it out loud, but my heart would scream out that I would be willing to go wherever he would like me to. And I did, I went where he wanted me to and look where it brought me. »
Quoique le sien, assurément, était étrange, de langage. Dans ma tête, les mots reprirent leur sens, et je me questionnais sur la possibilité de parler, le laissant rire sans lui faire remarquer encore ma présence, quand il parla, encore une fois. Un murmure, des mots fragiles jetés dans le vide des montagnes, mais que je reçus comme un témoignage, comme un écho de ce que j'avais voulu dire depuis le loup.
« I’m alive. »
Et ce fut un sourire qui devint mon premier parler. S'il se retournait, il me verrait. Dans le cas contraire, je m'en irais. J'avais trouvé les humains, je n'étais pas obligée, je crois, de continuer à vivre avec eux. Même si parler de Toblerone était un miracle qui m'avait fait aimer cette Humanité disparue..
Dernière édition par Stella Bogdanoff le Mer 4 Nov - 5:58, édité 1 fois |
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Sujet: Re: WE GO WHERE NO ONE GOES Jeu 27 Aoû - 14:04 | |
| Frostbitten Requiem to a Forgotten Elegy
S. Ashton Awyer | Les mots coursent dans la danse posthume d’un éveil éploré. Mes doigts crochetés dans le pelage rêche d’Aleksander agissent comme un point d’ancrage, alors que je me perds dans l’horizon, mon cœur exécutant une chute libre synonyme d’un réveil sauvage. Je suis vivant et ce constat déborde de mes lèvres en une explosion qui gagne en frénésie à mesure que je la réitère. Je me tiens là, genoux fléchis contre la terre rocailleuse des montagnes, Toblerone, et c’est tout ce que j’arrive à m’imposer, respirant à grandes goulées cet air qui pour la première fois me semble familier. Je laisse les odeurs ambiantes me vivifier, me roucouler la conscience que le sang qui coule dans mes veines, qui anime mes organes n’est dorénavant plus figé.
Je suis vivant. Je suis vivant. Je suis vivant.
Et mes ombres ne peuvent plus me retenir sous le niveau de l’eau, ne peuvent plus m’enfermer dans des souvenirs aux saveurs de plus en plus distantes; le reflet du soleil contre les cheveux de Lawrence, le timbre de voix trop doux de mon père, la profondeur déconcertante du regard de William, le poids des paumes de ma mère lorsqu’elle glissait ses doigts dans mes cheveux. Je ne peux plus m’enliser dans cet univers qui se meurt un peu plus chaque jour derrière mes paupières, survivant au travers toutes mes émotions, des plus noires aux plus lumineuses. Je ne peux plus m’accrocher à la seule image qui conserve une précision désarmante, à ces traits qui demeurent aussi clairs que du cristal, à ce sourire que je ressens contre mon épaule dès que je cesse de m’émerveiller de cet univers qui m’en apprend un peu plus chaque jour sur la risibilité de l’humanité.
Je suis vivant.
Il ne peut plus m’atteindre. Ici.
Il n’est qu’un fantôme entre mes synapses, immatériel comme il s’est toujours complu l’être, mais sans avoir le pouvoir de me tourmenter d’un revers de sourire. Je m’impose moi-même torture et douleur en m’enveloppant dans les souvenirs qui portent sa marque. Il est loin, il s’en ira.
L’éternité, fardeau chimérique dans lequel il a cru m’envelopper, n’est qu’une autre de ses tentatives démesurées de défier l’humanité qui l’a vu naître. Je suis ce messager qui s’est égaré sur le chemin du retour, qui n’a pas su correctement accomplir ce pourquoi j’ai été envoyé hors des frontières du passé. Jusqu’à maintenant, je suppose qu’il trouverait la force d’en rire, qu’il tiraillerait ses côtes de ses phalanges et glousserait cérémonieusement contre l’air. Un jour, toutefois, je mourrai et tout ce qu’il aura accompli en me glaçant le sang et les veines s’estompera.
Un jour, il s’effacera.
La réalisation est le premier pas. L’acceptation se trouve encore loin, et je sais que malgré l’euphorie des hauteurs et les vagues que j’entends percuter les parois rocheuses en contrebas, le temps et l’érosion de mon esprit seront les seuls qui pourront réellement me débarrasser de lui.
Il n’est plus là. Il ne peut plus être là. Une part de moi trouve encore la force d’espérer le revoir.
Je suis vivant.
Je me retourne pour observer le chemin de mon ascension, la rocaille et les pousses rebelles, peut-être même le tracé de mes pas à même le gravier naturel. Ce que je vois, toutefois, me coupe le souffle de plein fouet et écrase ma cage thoracique avec le poids de la fascination.
. . . qui ?
Robuste, elle rappelle un animal, est contextuellement drapée dans la fourrure d’une bête, un loup à en juger par la gueule qui pendouille sur sa tête. Ses bras, de là où je me tiens, semblent aptes à arracher ma tête de mes épaules. Nul doute qu’elle pourrait nous pousser dans la mer, Aleksander et moi, sans rencontrer le moindre problème.
Je pense d’abord à une vision, à un mirage, j’ai l’impression de me retrouver dans un conte pour adolescent. La pensée qu’une civilisation autre que la nôtre habite les terres inexplorées de Terra anime mon esprit d’une curiosité diluvienne qui ne trouve pas immédiatement pertinent de se réfugier dans l’appréhension et la peur.
Je me redresse, mes jambes ankylosées par ma précédente position, par le choc de me retrouver en face d’une tête qui n’appartient pas au village que j’ai abandonné près des collines il y a de cela trois jours, vacillent légèrement. Aleksander suit mon mouvement et a pour réflexe de vouloir aller à la rencontre de l’inconnue. Il tire sur la corde qui le retient près de moi et miaule son mécontentement. Habitué qu’il est aux mains humaines affectueuses, il ne lui passe pas à l’esprit que cette étrange amazone pourrait être dangereuse.
Je la fixe. Et je me demande depuis combien de temps elle se tient là, à m’observer en silence. Elle me fixe. Et sur son visage tranche une expression que je n’arrive pas à intelliger.
Elle sourit. Je pince les lèvres.
« Who are you ? »
Euphorie. |
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Sujet: Re: WE GO WHERE NO ONE GOES Mer 4 Nov - 6:30 | |
| The Stellar Whale
Stella Bogdanoff | Tu survivras. En des ondes catatoniques, juxtaposées entre elles par le fil gracieux d'une conversation qui ébruissait sur elle même en des soulèvements syllabaires, le jeu de langue s'agençait de manière à prendre la forme d'une clef qui vint déverrouiller le système à verrou lourd de mon Wernicke atrophié. Je battais des cils, lourdement, prenant conscience de cet état pataud dans lequel j'avais abandonné mon acte de parler, d'intelligibiliser mes pensées pendant un peu trop de temps. Comme une aliénation médicale, retrait forcé, je n'avais pas assez parlé. On effleurait du bout des doigts le problème, lequel s'était maintenant découvert un attrait profond pour le chocolat. Je n'étais même plus sûre d'être en mesure de pouvoir aimer cela. Sous les condescendantes fosses de mon crâne trop épais se noyait maintenant les effluves d'une ignorance qui cherchait à se débarrasser d'elle-même. La survivance était un acte, mais la compréhension de cet acte en lui-même en était un autre, et je perdais pied à contempler sur quel socle vacillant je faisais présentement la toupie. Brave, accroché d'une seule main à l'un des rebords de ce vide dans lequel s'était précipité indolemment ma conscience, mon sourire persistait. J'avais cessé de sourire aux humains depuis trop longtemps pour qu'effectuer cette mimique ne soit pas éprouvé comme un geste douloureux, difficile. Les nerfs faciaux s'en excitaient, projetant sous ma peau une transmission violente de la réalisation qu'appréhende la contemplation de ce fait. Je regrettais que sourire ne soit pas un langage qu'il ait pu comprendre directement, sans poser sa question. Fermant les yeux, en déposant le creux de mes paumes sur mes paupières, j'imaginais, une seconde, qu'il disparaissait, lui et son étrange animal. Que planait dans la solitude de l'instant la mémoire du moment passé, et que réside sur mes lèvres un goût de chocolat oublié. Mais que cela n'existe plus, et que l'on ne me forçât pas à répondre en parlant, puisque je ne savais plus m'exprimer. J'écartais les doigts, et il y eut, la perception nette dans ma poitrine, de ce plaisir indicible à considérer qu'il n'avait pas bougé. Il restait humain, présent, et malgré moi, les baleines chantaient à l'intérieur de ma tête, comme pour défier mon mensonge ; celui qui affirmait que je ne voulais plus d'humanité. Who are you. Sans le point d'interrogation, pensais-je, dans ses sons, la phrase était jolie. Mais dans l'agression qu'elle représentait, parce que je n'avais pas de réponse à lui offrir, elle consistait en l'état d'un animal rampant, nuisible, qui avait pour but de me traquer jusqu'à l'intérieur de ma tête. Je forçais, forçais, forçais. Comme une démente, à m'en arracher la langue, à déchirer les cordes pseudément vocales, je cherchais à moduler un son qui soit compréhensible, intelligible. Les traques animales, les odeurs de la forêt de la montagne se contextualisant en une autre forme d'expression, et les animaux qui grognaient en des messages nerveux, appréhensifs sous l'oubli de sa propre humanité : la vie sauvage déchirait l'intérieur de mon front pour me rappeler que les arbres, les rochers et la mousse ne parlaient pas. Un état de silence favorisait la compréhension, et parler revenait à donner sa position aux loups. J'abaissais mes mains, et gonflais les poumons en une extinction violente de la peur, la noyant sous un surplus d'oxygène. Cela ne marcha pas bien longtemps, mais assez pour que je puisse contempler l'individu sans broncher. Ma réponse fut silencieuse, projetée du bout des yeux, mais bien présente. Les baleines chantaient, et mon regard accrochait le sien avec la force du désespoir de me faire comprendre. Singebaleineoursmoussearbremontagne. Un sourire, furieux. S'il ne comprenait pas, je le frapperais. En m'approchant, d'une démarche rapide, violente, je levais la main, désignant les montagnes. Un geste ample, qui dans mon imaginaire, aurait suffit à la saisir toute entière par la force de mes doigts. Je balayais l'horizon des yeux, et refermer le poing vers les sommets hauts. Et puis, doucement, en glissant mon poignet sous l'axe d'un retournement, je vins porter mes doigts à mes lèvres, pour une contextualisation sucrée. « T-Toblerone - » |
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Sujet: Re: WE GO WHERE NO ONE GOES | |
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