Celeste Alwyn Crow - R.I.P.
« Le deuil est comme une grande maison vide, où l’on peut y entrer, mais plus en sortir. »
A mon frère Bails.
C’était comme si le monde s’était soudainement écroulé sous les pieds de Céleste. Un énorme gouffre dans lequel le simple être humain qu’il était s’était laissé tomber ; et aujourd’hui encore il ne cesse d’y chuter. Un vide absolu où tout n’est que solitude et désarroi. Une descente aux enfers interminable dont on ne voit jamais la fin, ni le commencement. C’est insoutenable. Ce sentiment de se retrouver entre deux mondes, une prison dans laquelle vous seul êtes enfermé ; avec vous-même. Face à votre reflet, vous êtes contraints de vous demander s’il existe rien qu’une seule raison valable qui a décidé que votre présence sur cette planète était nécessaire. Qui a déclaré haut et fort que vous, vous ne devriez pas partir. Pas encore, du moins. A présent vous êtes en mesure de comprendre le tourment du personnage qui se trouve en face de vous. Pourquoi son frère et pas lui ? Voilà la question que se posait sans arrêts le jeune homme. Il ne se passait pas une petite seconde sans que Cély repense à son défunt jumeau ; pourtant si différent de lui, mais en même temps si proche ; c'est paradoxal.
Fruit du hasard ou du destin -personne ne saurait le dire- Céleste exauça le vœu de son fraternel entièrement grâce à sa mort. Se sentant incapable de rester sur une terre ayant connu Bails, lui qui avait respiré son air et s'était imprégné de son oxygène, il fut poussé par la violente pulsion de changement. Inconsciemment, l'envie d'honorer la mémoire de son frère devait également y être pour quelque chose. L'avez-vous entendu ? L'appel du renouveau ? Cély, lui, oui. Derrière lui, il n'abandonnait rien ; le passé du jeune homme aux cheveux bleus était littéralement parti en fumée, le temps d'un claquement de doigt. Puis le néant. Un univers sans émotions où vos plus grandes hantises reviennent vous torturer. ces viles créatures s'enchaînent à vos pieds et deviennent votre plus lourd bagage. Métaphoriquement parlant : comme une énorme chaîne en métal liant vos deux chevilles et se tendant en un mouvement brusque et douloureux lorsque vous essayez de vous échapper. Vous meurtrissant la peau avec plaisir et sadisme. Le temps commence alors à défiler très rapidement, impossible de le voir passer. Votre cerveau n'a même pas eu le temps d'enregistrer la perte d'un proche qu'une tonne d'évènements se sont déjà enchaînés à la vitesse folle de la lumière. Vous passant sous le nez. Des instants perdus à jamais. Ce n'est seulement que du jour au lendemain, que, sans prévenir : "Ca y est, il est n'est plus là. Il ne reviendra plus. Plus jamais. C'est la fin". Et croyez-moi, je parle en connaissance de cause, ce déclic-là est le pire moment à passer dans un deuil. Le pire.
Céleste a également connu ce moment. Lorsque qu'une immense lumière blanche vint éclairer son âme en peine. Le début du renouveau.
Baigné dans un halo de lumière éblouissante et beaucoup trop blanche, Cély pensa percevoir le visage de Bails. Il était là, juste en face de lui, souriant chaleureusement ; comme en un signe de remerciement. Le jeune homme cru entrevoir la chaleur que dégageait le corps du défunt, en un cercle protecteur doré et lumineux qui lui donnait cet air si lointain. "Il touche le monde, mais il est intouchable". Or, toute cette vision n'était qu'un mirage créer par le subconscient du garçon et cela en fut que plus douloureux quand le regard aimant du jumeau se dissipa en même temps que cette lumière si aveuglante.
Au milieu de nul part, son paquetage sur le dos, les yeux plantés dans le vide, les hautes herbes lui caressant les membres, Céleste se sentit extrêmement seul. Dans le silence de l'inconnu. Le fameux déclic qui vous clame haut et fort que tout est terminé. N'est-il pas cruel ? De mon point du vue, en temps que narrateur, je pense sincèrement que cette phase douloureuse est certes dure à traverser, mais tout autant nécessaire pour la suite. Elle marque la fin d'un période, d'une histoire, mais le début d'une autre. Cette perte vous pousse à aller de l'avant et à vivre, tout simplement. C'est cruel, mais certaines personnes comme certaines familles ont besoin de tout perdre pour pouvoir se construire, ou se comprendre. Par la suite, je ne vous cacherais pas qu'il reste toujours une petite amertume, coincée au fond de la gorge, qui nous la noue de temps en temps et qui nous empêche d'exprimer ce que l'on voudrait dire. Des choses qui doivent sortir. Il nous reste toujours quelques pensées qui nous répètent sans cesse "il/elle ne pourra plus jamais vivre ça, entendre ça, voir ça" et c'est vrai. C'est pour cette raison que nous nous devons de vivre comme nous l'entendons. Certains auront peur et se diront que s'il sont heureux, ils en oublieront leur défunt proche ; et c'est encore vrai. C'est néanmoins ce que nous nous devons faire, que cet acte soit égoïste ou pas.
Céleste est d'accord avec moi et avec cette façon de voir les choses. C'est pour cette raison qu'il releva la tête et qu'il s'élança dans ce mystérieux champs de pierres à l'orée d'une forêt et d'un village. Il s'élançait dans l'addictif inconnu la tête haute et le regard fier, égal à lui-même. Ou est-ce qu'il allait ? Dieu sait qu'il n'en savait foutre rien, mais en tout cas il y allait. C'est certain. Un acte téméraire et irréversible ? Sûrement oui. Pourtant le jeune homme n'en avait que faire. Et vous savez pourquoi ?
Car ce que les morts laissent aux vivants, c'est certes une tristesse inconsolable, mais aussi le surcroit de devoir vivre et d'accomplir toutes ces choses que eux, n'ont pas pu faire.