Mon histoire
Tu as peut-être été beaucoup de personnes différentes, mais ceci est à propos de ce que tu es présentement.
Dis-moi qui tu es et dis-moi comment tu l’es devenu.
Partie 1 – Prologue en pronom personnel
Tout n’était que pénombre et lumière. Du noir, du blanc, du gris, presque de l’incolore, puis du rouge, beaucoup de noir et de rouge. Dans la pénombre opaque, les hommes n’étaient que des ombres, des nuances de gris dans un gris plus foncé encore. La scène grise était illuminée de spots qui accompagnaient la chorégraphie sévèrement orchestrée, et qui, en tout, formaient des teintes de clair-obscur qui se nuançaient en escortant les déhanchements de danseuses.
Je suis dans la ligne du fond avec quatre de mes sœurs et mes deux cousines. Devant, toute seule au centre de la scène, se trouve mon ainée Alia.
Alia a toujours été la meilleure danseuse, et moi, je suis sa jeune pupille. Cela n’a rien d’étonnant, car malgré notre large différence d’âge, moi et Alia avons toujours eu une relation privilégiée. On pourrait penser qu'être un accessoire de fond puisse être peu valorisant, mais c'était pour moi un très grand honneur. Grâce à Alia, je suis entrée dans la troupe bien plus jeune que n’importe quelle autre fille de ma famille.
Je viens d’une large fratrie : sept filles, deux garçons. Alia est la plus âgée alors que je suis la plus jeune chez les filles et la deuxième plus jeune après mon frère Camil. En tout, cinq de mes sœurs sont dans la troupe. Beha est à ma droite, Majda à ma gauche, s’en suit ma cousine Dora, puis les jumelles Zara et Tlidja, qui elles sont suivies de ma deuxième cousine Alma. Nous six formons une chorégraphie synchronisée ; nous devons être parfaites, mais seulement pour encadrer Alia qui donne l’attraction. Si l’une de nous brise le rythme, elle attire l’attention et brise le clou du spectacle. Notre rôle est moins reconnu par nos clients, mais d’autant plus important. De toute façon, l’opinion des clients nous importe peu. Beaucoup de courtisanes du harem gervidéen, celles qui n'ont jamais abandonné l'espoir d'un jour tirer une quelconque noblesse de leur sort, nous enviaient profondément, car nous étions l'élite, bien que nous n'en restions pas moins des prostituées de luxe comme elles toutes. Le seul aspect qui nous différenciait vraiment des autres était que nous n'avions pas dû nous habituer à notre situation ; nous n'avions jamais eu honte, ni eu à accepter quoi que ce soit, parce que nous avions toujours vécu comme ça – c'est plutôt avec du recul qu'est survenu la honte quant à mon passé -, en contrepartie, nous ne retirions pas particulièrement de fierté non plus à former une élite de putains, nous étions, je dirais, passablement indifférentes sur le sujet. J'irais jusqu'à dire que nous vivions dans un monde à part où nous dansions d'un côté, et que c'était là notre ultime raison de vivre, et de l'autre part, nous survivions, cette partie comprenait subvenir à nos besoins en s'occupant de tâches plus ingrates, passants de faire la lessive jusqu'à devoir satisfaire les besoins de maitres capricieux, mais ces actions avaient généralement pour unique fin de soutenir le premier but de notre existence.
Alia venait d’entamer la troisième et dernière partie de la danse et moi et mes sœurs nous accordons à elle. Ce soir, nous dansions pour l’anniversaire d’un quelconque cousin des Anghel. Maitre Gervidéo, dans un élan de générosité, avait permis l’organisation de cette somptueuse soirée ; même pour ceux partageant le sang des Anghel, ce n’était pas chose courante. Dora avait supposé que le maitre était simplement ennuyé et qu’il avait utilisé l’anniversaire de ce petit cousin comme prétexte pour faire la fête, elle avait ajouté, presque avec moquerie, que le pauvre fêté ne réalisait sans doute pas combien si peu pour lui était véritablement l’évènement. Je l’avais bien observé se pavaner, fier comme un paon parmi ces nobles lourds d’eux même et de bijoux, et les courtisanes légèrement, mais richement vêtues . . . Ces soirées étaient toujours divisées ainsi, entre le silence des plus belles femmes du monde et la cacophonie dantesque des esprits les plus sales qui les convoitaient.
Le fêté n’était pas laid, mais il transpirait la jeunesse gâtée et l’indifférence candide. Je lui portais une attention particulière parce que l’une de nous allait être son cadeau d’anniversaire. Nous ne savions pas encore laquelle, mais de toute façon, nous allions toutes finir dans les bras d’un riche protecteur avant la fin de la nuit. Nous ne pouvions jamais vraiment choisir, ce qui n’empêchait pas que des liens se forment… Il fallait toutefois faire très attention à ce que liaisons gardent une façade professionnelle. D’ailleurs, Alia m’avait justement demandé de prendre sa place si jamais le choix pointait vers elle, car elle espérait rejoindre son favori qu’elle n’avait, hélas, pas l’occasion de rencontrer souvent.
Après un dernier éclat de blanc et de rouge, le noir. Black. C’est la fin de notre représentation. Les gens applaudissent ; ils sifflent et ils rient et ils crient. Dans l’opinion de la grande majorité d’entre eux, le spectacle était terminé et moi et mes sœurs allions passer le reste de la soirée à oisivement nous amuser avec des gens influents. Notre réalité était toute autre : nous venions de terminer de nous amuser et se commençait dès à présent la vraie mascarade.
Armées de sourires et de rires longuement pratiqués, nous étions les figurantes d’une moquerie effroyable. Aucune d’entre nous n’avait vraiment envie d’aller socialiser avec ces gens, mais c’était une partie du lot que nous devions payer pour continuer d’exercer notre métier. Contrairement à Beha, Majda ou Rania, je ne dirais pas trouver tous ces gens totalement dépourvus d’intérêt, seulement . . . Je ne voyais pas l’intérêt de me faire des amis que je ne revenais peut-être jamais. La solitude était, elle aussi, une part du prix à payer pour continuer notre rêve.
Derrière la scène, notre mère Hasnia, notre sœur Rania et nos frères Emir et Camil nous accueillirent avec des peignoirs limpides. Ils nous aidèrent à enlever les bijoux dorés pendus à nos tailles, pour ensuite y ajuster des ceintures de soie finement travaillées. Il fallait aussi superposer des demi-tuniques d’étoffe translucides par-dessus nos soutiens-gorges richement décorés, décrocher les franges de tissu fixées à nos hanches et à nos poignets, pour ensuite ajuster les traines de mousseline ; au final, c’était beaucoup d’apparat pour cacher bien peu. Le tissu transparent et les fentes découpées dans nos tenues étaient davantage là pour mettre en valeur nos formes et nos courbes qu’autre chose. À peine chaussées, nous n’avions droit qu’à de fines sandales afin de dévoiler les motifs qui avaient, quelques jours auparavant, adroitement été dessinés sur nos pieds comme sur nos mains avec du henné foncé. Ils retouchèrent finalement nos coiffes, toutes ses actions n’ayant au final pris que quelques minutes.
Nous étions livrées ainsi, presque nues et terriblement bien apprêtées à l’entourage de nos maitres.
Il y avait devant nous un océan puant de noble débauche. Des hommes et des femmes en beaux apparats qui se manquaient de respect de la plus civilisée des façons. Menaces, chantage, harcèlement sexuel ; des fusils sous les tables, des papiers sous des vestons, des coins sombres avec des mains et des ongles qui remontent des jupes, déchirent de bas de soie, mais il y avait surtout des sourires… Des vrais et des faux, des naïfs et des carnassiers.
Devant ce vaste océan, nous étions en quelque sorte des sirènes. Des femmes mystérieuses, gracieuses qu’ils n’associaient pas au genre humain. Nous devions charmer et enchanter des hommes, mais c’était nous qui finissions dévorées.
Partie 2 – Dans le monde natal
Les lèvres d’Hessa étaient entrouvertes ; son rouge à lèvres foncé était étalé au-delà de ses lèves et imbibé dans sa peau mate. L’odeur musquée de son parfum envahissait la pièce alors que l’humidité couvrait son corps tremblant et que ses cheveux ondulés coulaient comme une cascade de jais sur ses seins nus. Dans ses yeux marron étaient reflété le sourire extasié de son partenaire.
Cette soirée-là, un repoussant personnage l’avait suivi dans un couloir vide et l’avait entrainé contre le mur. Ses doigts cruels s’étaient refermés sur sa chair galbée, et son haleine chaude et désagréable avait roulé contre la peau de son cou. Hessa était parvenue à se défaire de lui, mais pas sans qu’il la poursuive et la menace de l’acheter à son maitre pour la nuit. Elle fuyait, non sans trépigner dans sa traine fragile. Elle s’était finalement échouée contre les avant-bras d’un inconnu : Anton Sawyer était bel homme avec un sourire franc et rêveur. Elle le connaissait de vue depuis longtemps, sans plus, mais il avait vite su lui imposer cette bonne impression d’un preux chevalier.
Il a veillé sur elle jusqu’à son retour auprès de ses sœurs, après quoi ils ont passé la soirée à se croiser du regard. Hessa l’observait en nourrissant à son égard un intérêt traduit par des sourires et des clins d’œil : d’un autre côté, elle s’est rapidement rendu compte qu’il trafiquait quelque chose de louche, ce qui n’a su qu’attiser sa curiosité davantage.
Alors qu’il se croyait invisible, elle l’a vu vider dans un verre une substance aussi transparente que ses intentions. Plus tard, elle a également discerné la seconde de panique dessinée sur son visage lorsque la coupe s’est vu passer à la mauvaise personne par la victime entendue. Anton n’a toutefois pas perdu de temps pour s’interposer entre l’innocent et le verre empoisonné, ensuite de quoi il a ouvertement accusé l’autre d’une tentative d’assassinat. L’histoire ne fut pas difficile à cause des tensions existantes entre les deux personnages, et surtout pas après que le premier fut forcé d’y gouter et qu’il tomba raide mort sous le regard suspicieux du survivant.
Anton qui était déjà populaire était maintenant un héros. Hessa le toisait d’un regard chaud et pressant, et quand il posa à son tour les yeux sur elle, le contact fut long et communicatif. Il savait qu’elle savait, et il savait qu’elle n’était pas particulièrement choquée non plus. L’homme sauvé, invité d’honneur de la réception, remarqua au moins une partie de la communication non verbale, et pour remercier son sauveur, lui offrit Hessa en cadeau pour le temps de son séjour chez lui.
À peine arrivée dans la luxueuse chambre d’hôtel, elle l’a poussé dans le confort d’un canapé. Elle portait sous son ensemble de soirée des dentelles affriolantes dans lesquelles elle guida ses mains. Il lui avait dit qu’elle n’était pas obligée de coucher avec lui à cause de son travail, mais elle en avait envie, ainsi ils ne se sont pas lâchés pour trois jours.
Ils étaient au bord du sommeil lorsqu’il lui a demandé, en caressant distraitement son ventre, si elle souhaiterait partir avec lui et disparaitre. À quoi elle a répondu qu’elle ne quitterait jamais sa troupe de danse, mais qu’elle ne dirait jamais non à quelques heures de plus avec lui, maintenant ou n’importe quand d’autre. Ils se sont vus à deux reprises après cela, dans le cadre de soirées, avant que sa vie soit bousculée et que les dommages deviennent irréparables.
Alia, sa sœur, avait été demandée en mariage par le vieux conard même qui avait essayé de l'agresser le soir où elle a rencontré Anton, et elle lui fut vendue contre son gré pour conclure une alliance économique. Ce fut d’autant plus horrible qu’elle dut pour se faire quitter la troupe familiale pour aller s’installer avec son nouveau mari. Beha prit alors la tête du groupe, tout en revendiquant vainement le retour de son ainée. Hessa ne put la visiter qu’une fois et elle l’avait retrouvée misérable. Après quelques mois seulement, ils reçurent la nouvelle de son décès. Un suicide, selon les apparences, mais Hessa n’y croyait pas, pas plus que le reste de sa famille.
Elle était anéantie, et son cauchemar tourna à l’enfer lorsque son beau-frère veuf vient quémander une nouvelle épouse pour remplacer celle qu’il avait perdue, peu de temps après quoi, Emir, son frère le plus âgé, mourut à son tour, exécuté pour avoir agressé son futur fiancé.
Elle était désespérée et avait promis de se tuer à son tour avant de seulement le rencontrer à nouveau. Elle eut toutefois la chance de rencontrer Anton au cours de la dernière nuit qu’elle passa avec sa famille. Elle l’avait discrètement entrainée dans une pièce isolée, seulement pour se jeter dans ses bras et pleurer.
Elle voulait partir avec lui et disparaitre.
Bien sûr, elle s’imaginait aller vivre avec lui, voire peut-être même l’épouser plutôt que de se retrouver devant le docteur Olivier, puis propulsée dans le Nouveau Monde. Elle était triste de le quitter, mais pas moins heureuse de fuir sa vie promise, ou plutôt la mort qu’elle y aurait préférée.
Partie 3 – Le Nouveau Monde
Elle avait voulu disparaitre pour se fondre dans la lumière, la douceur, la verdoyance, seulement pour s’engouffrer dans de violentes ténèbres incolores. Elle était arrivée sur Terra loin de l’herbe douce, du soleil et des fleurs ; loin de la rive, dans l’eau froide et tumultueuse d’un orage houleux.
Elle savait nager, mais les vagues puissantes la poussaient vers l’abime. Elle cherchait son souffle qui s’inondait et battait l’air de ses bras que les vagues dévoraient avec avidité.
Finalement, sa force l’abandonna, et elle s’endormit au creux des vagues berçantes.
Elle s’était endormie, seulement pour se réveiller dans un rêve. Le sable chaud et le soleil caressaient sa peau nue ; l’air odorant et pur, ses sens émergents. Il lui sembla pour quelques instants avoir coulé jusqu’à toucher le ciel, jusqu’à ce que soudain une douleur aigüe parcoure sa gorge et que poussée par la douleur, elle se redresse pour cracher l’incendie liquide qui brulait ses poumons.
Un jeune garçon l’observait. Il avait la peau foncée et ne portait qu’un pagne. Il se nommait Prana, ce qui dans sa langue se traduisait par souffle de vie. Hessa et l’enfant ne parlaient pas la même langue, mais il put lui montrer où trouver de la nourriture et où dormir.
L’ile aride s’étendait en hauteur : en dehors des escarpements rocheux, il y avait la plage qui était parsemée de coquillages, et qui donnait sur un demi-kilomètre carré de verdure. Prana avait su ériger un abri de fortune contre une paroi de roche, à la limite du sable et du boisé.
Le garçon vivait seul sur l’ile depuis longtemps, et survivait au rythme d’une routine que l’expérience améliorait : ramasser des fruits, ramasser des coquillages, pêcher, construire de meilleurs outils, devenir plus rapide, améliorer sa condition de vie.
D’ailleurs, au lendemain du naufrage d’Hessa, ils trouvèrent sur la plage une sandale, ainsi que l’un des trois sacs qu’elle avait perdus. Celui-ci contenait une couverture, des vêtements et quelques bijoux. Pas d’eau potable, pas de nourriture, pas d’outils. Par contre, ils trouvèrent plusieurs gros fruits juteux venus d’iles lointaines, ainsi que des mollusques. Miraculeusement, sa deuxième sandale s’échoua quelques jours plus tard, au grand soulagement de ses pieds à vif.
Au début, Hessa trouvait le temps long et fronçait les sourcils à l’idée de travailler tous les jours sur les exactes mêmes tâches. Elle trouvait l’enfant laid, et ne daignait communiquer avec lui que lorsque sa survie l’exigeait. Malgré tout, l’enfant était gentil avec elle et la guidait patiemment dans son accoutumance. Elle finit par admirer chez lui une force inépuisable qui l’amena à lui accorder son amitié. Ensemble, ils agrandirent leur habitation et Hessa prit plaisir à l’enjoliver avec des fleurs et des coquillages. Comme l’ile était épargnée par le froid, elle confectionna à partir des couvertures colorées des vêtements, d’abord pour elle, mais aussi pour Prana.
Elle était sur l’ile depuis déjà plusieurs semaines lorsqu’elle enfila pour la première fois ses bijoux, ses cymbalettes et ses foulards pour danser. Prana l’avait regardé avec de grands yeux émerveillés jusqu’à ce qu’elle l’entraine avec elle sur le rythme improvisé des petites soucoupes de métal.
Plus tard, Hessa confectionna un tambourin de bois et de coquillages.
Partie 4 – L’île rouge
Un jour, avec une tempête, est venu un groupe d’hommes et de femmes. Hessa fut d’abord surprise de découvrir qu’elle et Prana n’étaient pas seuls au monde, seulement pour constater que cette réalité était d’une certaine évidence. Ils avaient voyagé pendant de longues semaines pour fuir un climat difficile et étaient heureux de constater que déjà ici, il était plus tendre. Toutefois, l’ile étant minuscule, les ressources ne tardèrent pas à manquer, et il fallut partir. Prana était retissant à l’idée de quitter l’ilot qui fut sa maison pour plus de trois ans, mais il finit par suivre Hessa de laquelle il ne voulait pas se séparer.
Ils firent plusieurs escales, sans trouver leur bonheur : l’ile suivante était désertique et caniculaire, et la prochaine trop rocailleuse et faite en hauteur. Plusieurs ilots trop petits pour être même considérés leur avaient permis de se ravitailler et de prendre des forces, mais sans offrir le moindre espoir d’un campement durable.
Les gerbes d’or de l’ile rouge avaient été une vision de bonheur que seule la palissade cruelle du village avait gâché. L’anticipation l’avait gagnée alors que son groupe était escorté dans sa bouche et avalé par leur ordre. Le calme austère qui régnait dans le village était pesant, et la voix de leur meneur était sévère et horripilante. Hessa avait tout de suite eu envie de fuir, après tout, elle avait su se débrouiller toute seule pendant ces longues semaines… avec Prana. Depuis leur départ, elle avait développé son esprit maternel et serrait d’ailleurs ses frêles épaules contre sa poitrine tout au long de la procession. Elle cherchait à le rassurer et à le protéger, mais il était déjà calme, et c’était au final lui qui lui donnait de la force.
Puis, les lignes solides des incendiés furent brisées, en même temps que le cœur d’Hessa. La carrure autoritaire de Beha, sa sœur, s’impose comme un orage, et soudain, elle se déverse sur elle dans une averse de baisers. Les deux camps ont dû avoir des questions, mais la ressemblance frappante entre les deux femmes, ainsi que les tatouages communs qui décoraient leurs bras, épaules et fronts étaient sans équivoque au sujet de leur parenté.
Les bras puissants et protecteurs de son ainée l’avaient entrainée loin des dangers, mais leur cohabitation soudaine leur rappela vite pourquoi elles n’avaient jamais été proches. Malgré leurs désaccords fréquents et leurs disputes houleuses, elles étaient fidèles l’une à l’autre, conscientes que leur état de sœur était la seule chose sur laquelle elles ne pourraient jamais vraiment compter.
Hessa exprima à plusieurs reprises son envie de partir, ce à quoi Beha répondait que c’était impossible, ou tout bonnement stupide : les dirigeants de l’ile rouge étaient faciles à manipuler, alors que l’extérieur de leur zone était sauvage, inexploré, dangereux, impitoyable.
Ça n’empêcha pas Hessa de planifier une fuite avec le reste de son groupe, et Beha, tout comme Prana l’avait fait avant elle, quitta son village pour la suivre. Beha ne semblait d’ailleurs pas comprendre la relation qu’Hessa entretenait avec cet enfant ; ils étaient maintenant inséparables.
Hessa aimait se donner des airs de survivante aguerrie, et malgré qu’elle tentait au mieux de le cacher au reste du groupe, la traversée du désert fut difficile pour elle. Ironiquement, Beha qui avait souhaité rester au village était grandiose et participait activement à guider le groupe à travers les zones dangereuses et hors de la portée des poursuivants potentiels.
Le désert n’était pas son forté, disait-elle. La construction rapide de bateaux non plus, d’ailleurs, bien qu’elle tenta de cacher ce fait en s’attribuant des tâches qu’elle était évidemment incapable de compléter. Elle s’acharna jusqu’à se blesser au bras droit, ce qui n’avança personne.
Pendant la nouvelle traversée, elle partageait l’embarcation de Beha, Prana et Sùkh, un Asiatique qui leur avait servi de guide aux côtés de Beha dans le désert. Ils suivaient leur groupe sur près de cinq iles, toutes inhabitables au long terme, jusqu’à être frappé par l’orage.
D’abord ils ont perdu le reste du groupe, puis Sùkh, alors qu’il tentait d’installer une ligne de sureté. Ensuite, ce fut au tour de Beha de disparaitre alors que le bateau s’était fissuré. Hessa et Prana se serraient ensemble et s’accrochèrent aux ruines flottantes jusqu’à se dissiper dans la tempête.
Elle s’est finalement éveillée sur une plage isolée, étrangement semblable à celle qu’elle avait occupée avec Prana.
Elle était seule.