Je n'appréciai guère le nouveau camarade d'Alekseï, il semblait toujours prêt à quelques mauvais coups, sa présence me rendait nerveux. Aussi, j'accueillis l'arrivée de Pilar avec plaisir, échappant au bras de Jun pour me tourner vers elle. Cela faisait un moment maintenant que je l'avais réceptionnée au champ de pierre et nous n'avions guère pris le temps de faire quelque chose ensemble depuis. Sa question me prit au dépourvu mais je n'eus pas à m'apesantir dessus car elle posa les mots sur le goût étrange du jus. De l'alcool ? Il me semblait pourtant qu'Alek avait fini ses réserves et peut-être même celles de John... Aurait-il osé demandé à Pavel de participer à une action aussi... surprenante ? Je ne pus douter longtemps face au sourire qu'il offrit à Pilar en lui répondant. Monsieur avait fabriqué sa propre gnôle et la testait ce soir, à l'insu de tous !

« Ca va maintenant mais c'était la première fois qu'une catastrophe arrivait depuis que je suis ici, ça m'a un peu retourné, répondis-je tardivement à la jeune femme tout en me resservant un verre. Et toi ? »

Derrière nous, Alek se mit à danser, joignant à la mélodie du violon d'énergiques claquements de mains qui retentissaient l'une contre l'autre ou bien contre son torse ou ses cuisses, produisant des sons plus ou moins forts. Et il se mit à fredonner. Ce n'était parfois que des onomatopées un peu gutturales mais cela décoinça un peu les esprits et en attira certains. Je fis une légère révérence à Pilar et l'entraînai dans ce qui devenait le cercle de danse. Porté par une douce ivresse, je me laissai aller, suivant le rythme imposé, associant ma voix à celle d'Alek. Le rire de Pilar s'envola vers les cieux lorsqu'elle jeta ses chaussures au loin, martelant désormais le sol pieds nus, imitant les sauts de mon blond compagnon. Quelqu'un s'empara de plusieurs coquilles vides et entreprit d'en tirer des sons proches d'un tambour avant de se lancer sur la mélodie qui gonflait.

Jusqu'à présent, j'avais plus joué le serveur attentif aux besoins de tous que le fêtard, tout plutôt que de me faire emporter. Mais ce soir, peut-être était-ce grâce à l'alcool qui s'animait dans mes artères, je me sentais un peu plus libre. Cela faisait longtemps que je n'avais pas festoyé. J'avais joué enfant, j'avais ri adulte, mais participer à une fête, une vraie, sans entrave ni frayeur (ou presque...), je ne l'avais jamais fait. Aussi comptai-je bien en profiter à fond, ce soir comme toutes les autres fêtes de la Lune à venir. Du coin de l’œil, j'avisai Lola et l'emportai à son tour, la faisait virevolter autour du feu qui embrasait ses mèches de couleurs plus vives encore. Qu'avais-je peur du feu quand je prévoyais d'embrasser un indomptable feu follet ?
Je pouvais le sentir, l'esprit de la fête habitait toutes les têtes, faisant briller les yeux et rire les visages. Lola s'envola plus loin, emportée dans une farandole folle et j'en profitai pour me resservir, gravant dans ma mémoire ces corps d'ombres et de lumières pleinement vivants et insouciants.
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