Peut-être était-ce sa condition de jeune fermière, ou encore le régime de fer qui l’avait ainsi faite, mais la rouquine ne ressentait pas le besoin de contrôler son environnement pour se sentir en sécurité. Elle savait le territoire dangereux, mais elle se savait aussi capable de survivre. Le territoire de ce Nouveau Monde était surement hospitalier, sinon il n’y aurait jamais eu de village.
Émilie prit au sérieux les paroles du perturbé. Dans un an, car elle était certaine d’y arriver, elle lui demanderait quelque chose. Cette chose devrait être spéciale : ça n'allait pas être un simple service, ou encore moins quelque chose de futile ou de gaspillé. Cette fleur devrait être l’une des plus belles jamais trouvées. Une fleur dont les pétales, une fois fanés, se transformeraient pour devenir l'ébauche d'une joie, voire un cataplasme permettant sa guérison absolue, des pétales qui permettraient de faire un thé somptueux qui réchaufferait l’âme hivernale d'Ashton. Des pétales qui permettraient à sa vie de continuer, de s’améliorer et, qui sait, de s’épanouir davantage.
Cette fleur serait spéciale, la jeune mère en était certaine, mais elle ne savait pas encore ce que ce serait, elle ne savait pas si elle réussirait à toucher son congénère comme elle le voudrait, mais elle essayerait. Elle s’affairerait pour lui prouver que la vie était possible sur ses terres inconnues - certes difficile, mais pas impossible.
Le futur fleuriste s’approcha du bambin et le prit dans ses bras. Comme une lionne, les yeux perçants d’Anne surveillèrent les moindres faits et gestes posés sur cet être qui représentait tout l’avenir à ses yeux. Elle ne voulait pas qu’il soit blessé.Il était encore si jeune. Le laisser ainsi dans les bras d'un pur inconnu visiblement très troublé ne rassurait pas la nouvelle arrivante, mais elle voulait bien lui laisser sa chance, surtout que ses gestes semblaient tout de même doux et exécutés avec précaution.
La maçonne improvisée laissa donc le fruit de ses entrailles à la nounou de fortune avant d’aller chercher d’autres pierres. Elle ne lui accorda que quelques mots avant de le laisser en plant sur le futur site où s’élèverait la maison de la petite famille ; une petite maison faite de paille, de pierre, et de mortier. Rien d’impressionnant, mais suffisant pour commencer. De toute manière, la Québécoise n’aurait que faire d’un manoir.
-Tu as voulu le prendre, garde-le pour la journée, tu m’aideras de cette manière.
Les paroles furent prononcées avec un ton légèrement autoritaire, mélangé avec de l’ironie, le tout accompagné d'un clin d’œil. Elle le laissa donc ainsi, sachant qu’il ne laisserait pas son enfant seul. La pionnière avait foi en l’humanité, surement à tort, mais elle ne s’en tirait pas si mal jusque là.
C'est au bout de quelques jours que la jeune mère réussi à finir son abri en mélangeant ce qui lui fallait pour faire le mortier, empilant les roches de façon à les emboiter en faisant une minuscule alcôve pour qu’elle puisse y vivre. C'est au bout de ces longues heures passées à travailler, ne s’arrêtant que pour boire, manger, dormir et, bien sûr, pour s’occuper de son amour, qu’elle finit par ériger son habitation.
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