« Tu me fais confiance ? »

Je ne sais pas ce qui c'était passé. Était-ce la douceur de la nuit volupté ? La coupole des étoiles brillantes de passion ? Le doux murmure du vent ou encore le feu qui illuminait son visage d'une clarté orange et chaleureuse ? Pourtant sa main tendue m'attirait, ses promesses d'un renouveau. Les pensées insidieuses et morbides se bousculèrent, tour à tour l'incertitude et mon manque de confiance en moi entrelaçaient ma conscience, lui hurlant de faire demi-tour. Cette conscience qui ne cessait de me rabaisser, de me rappeler à l'ordre. Je n'étais pas les autres, j'étais moi. J'étais celle incapable de croire, de suivre le mouvement. Ils avançaient tous et me laissaient en arrière, rejetée, paria de l'humanité. Ils ne m'aimaient pas seulement eux le cachait, moi non. Mais lui n'était pas eux. Eux n'étaient plus là, je l’espérais, délaissé dans l'ancien monde sans moi à haïr. Lui était là, la main tendue et au fond de moi je savais qu'il ne fallait pas écouter ma conscience, pour une fois je voulais suivre le mouvement. Je voulais tant être comme lui, aussi forte et vaillante. Je ne voulais plus être moi, je voulais être la moi du nouveau monde, la forte et vaillante moi.
J'hochais la tête mes cheveux glissant sur mes yeux m'obstruant la vue. L'air était humide, étouffant. En cet instant la logique était morte, étouffé sous mon courage. Je dégageais donc les cheveux de ma vue et je ne pus m'empêcher d'être fière, fière que pour la première fois je n'ai suivi aucune raison, aucune suite logique. Je n'ai pas cherché l'inconnue, je n'ai pas fui face au risque. J'ai fais face et je m'y suis enfouie, lové dans la douceur du mystère. La nuit ne m'a jamais paru aussi belle qu'en cette journée. Peu importe la faim, la solitude, la nudité de ce matin, ma piètre qualité de chasseuse. Peu importe car au final la nuit est magnifique et j'apprécie le moment. La douceur de l'eau qui caresse mes chevilles, la chaleur de la lumière opale qui m'enveloppe, le vent qui me porte. Je ne sens plus la douleur, les regrets, la crainte, mes critiques lourdes de sens. Je ne sens plus, tous s'est fané sous l'ère nouvelle. Un léger sourire se dessine sur mes lèvres, est-ce cela l'euphorie ? C'est si bon.

« Cette nuit est celle de ta renaissance. Tu as plus de courage en toi que tu ne le penses et il est temps d'embrasser cette nouvelle existence avec toute la force que tu possèdes. Cette eau est aussi pure que ta nouvelle vie. Ce que tu as fait par le passé t'a menée ici. Bien. Pour autant, cela ne doit pas te définir. Un nouveau monde t'ouvre les bras et il n'attend que toi. Comme ton futur, il se déroule à tes pieds, il te suffit d'avancer. »

L'eau ruissela sur mon crâne, goutta de mes cheveux. Elle était si douce, si fraîche. Moi aurait trouvé cela absurde, elle aurait dis que ceci n'avait rien de logique mais ma vie a-t-elle déjà été logique ? Pendant un instant, ne serait-ce qu'une once de logique ? Non sinon je ne serais pas ici dans ce Nouveau Monde alors j'oublie, j'abandonne. Je n'ai plus besoin des notions abstraites, je n'ai plus besoin de me haïr. Pour atteindre la lumière il me faut me débarrasser de cette mue pour renaître innocente et purgé. Je ne pourrais jamais les atteindre si je reste ainsi. Si je ne cesse de penser à eux, aux beaux yeux, à ma peur qui me ronge l'estomac. Mon esprit disloqué m'empêchait d'avancer mais dorénavant j'irais mieux. Dorénavant je suis moi et tout ça grâce à lui:lui qui n'a pas peur, lui qui va de l'avant, lui le vaillant. Je pourrais devenir comme lui un jour, je l'espère.
Je suivais son ombre, m’enfonçant dans l'eau translucide. Presque engloutie en son sein je relevais mon visage. Mes yeux se plongèrent dans les siens et pour une fois je ne les ais pas détournés, j'ai résisté à cette envie maladive et jouissante de fuir encore et encore. Il me fit signe de m'immerger et je ne sais pas ce qui m'a pris. J'ai écouté et en quelques secondes je sentis le grand bleu m'envahir, les remous se glisser entre mes membres, mes cheveux se coller contre ma nuque. Le monde entier s'était arrêté, mes pensées s'étaient tues.


Une fois sortie de l'eau, mes yeux se posèrent sur l'imposante voûte céleste, les étoiles m'écrasant de toutes leurs beautés et sur son piédestal la lune reine des astres chatoyante et pâle. Je sentis l'air s'engouffrer dans mes poumons, ma poitrine se gonfler d'air frais, mon corps entier ruisselant de toute part. Je sentais la vie comme elle l'était, je sentais tout. Une fois mon souffle calme et mes idées revenues je replongeais mon regard sur Théodore qui me regardait d'une attitude bienveillante. Devrais-je lui faire confiance ? J'en attends peut-être trop de lui... J'en attends tant des autres, cela m'a toujours blessé au final. Je n'étais qu'une enfant aux besoins démesurées à qui on demandait d'être adulte et qui souhaitait tant qu'on lui tende la main, juste un mot pour la sortir de son trou seulement personne n'était venue sauf cet homme, ce semblant d'homme. J'ai tant cru en lui, je m'étais accroché à lui dans un espoir vain. Au final je n'étais qu'un fardeau dont il s'est débarrassé par pitié pour son sort. Maintenant voilà Théodore et encore je me sens comme une enfant dont on doit s'occuper par miséricorde mais s'en est fini de tout cela. Dorénavant je suis moi et seulement moi, dorénavant je n'aurais plus besoin de personne. Je sens enfin la lumière m'illuminer et cette enfant n'est plus, oubliée dans les abysses.
Je vois désormais que son dos vaste et musclée, son ombre m'avale toute entière. Je ne serais jamais lui, grand et majestueux mais en être une pale copie me suffit, je ne veux plus en demander trop et viser un but inatteignable. Je ne serais jamais grande et forte, belle et séduisante, extravertie et démagogue. Je ne serais jamais l'idéal féminin mais cela ne me dérange pas. M'aimer me suffira et peut-être un jour m'aimera-t-on aussi ? Je suis sa silhouette titanesque et doucement l'eau m'abandonne sur la terre féconde, me relâchant de sa douce enveloppe cristalline. Je me sens nouvelle, lavée de toute la bile noirâtre incommodante.

« Avec l'eau est parti ton passé. Il fait désormais parti du lac. Tu pourrais toujours le retrouver ici mais il ne doit plus t'empêcher d'avancer. »

Ses mots me firent décrocher un sourire et ce visage aux traits usuellement si terne se vit éclairer. Je me sentais libre, je me sentais moi-même. Mes lèvres déposèrent sur sa joue un baiser délicat, avant de reculer sur la pointe des pieds. Je n'étais plus moi et je voulais tant en profiter, je voulais tant courir jusqu'à que mes jambes ne me supportent plus, je voulais tant respirer tout l'air frais que le monde pouvait m'offrir, je voulais tant être libre. Sentir la pluie contre mon corps, compter les étoiles dans le ciel, chasser les petits animaux, faire un bouquet de fleur, rire à gorge déployée. Je voulais tant vivre ce que je n'ai jamais vécue. Peu à peu, lentement et sûrement sans me brusquer. Changer ne se faisait pas en une journée après tout mais le symbolisme était là et désormais j'avais un endroit à moi, un endroit qui a un sens que seul mes yeux pourraient discerner. Je viendrais ici, mon regard se posera sur le lac et celui-ci me répondra dans un doux murmure et alors seule moi saurait pourquoi je souris tant, seule moi saurait sa signification. Mes yeux plongent dans les siens et ma voix se fait fragile, étranglée.

« Je ne pourrais jamais assez te remercier. »

Enfin mes jambes se dérobent sur mon poids et je ris, je ris de peine parce que une partie de moi est morte et parce que je suis si heureuse. Je sens l'herbe fraîche caresser mes joues, je sens la terre meuble sous mes jambes étendues et je les sens rire avec moi, de ce même rire mélancolique.
Les étoiles rieuses.

HS: